Son œuvre, cinématographique, photographique ou performative est trop largement méconnue. Et elle ne devrait pas. Jack Smith n’a jamais réellement reçu son dû. Cinéaste de génie, légende du théâtre, collectionneur d’art exotique, il est la fondation de tout l’underground new-yorkais.
LoveBirds of Paradise :
Pionnier du cinéma underground, il est une figure centrale de l’avant-garde aux Etats-Unis, reconnu comme un des pères de la performance américaine. Malheureusement ses œuvres n’ont jamais connues de vraie distribution, ce qui est fort dommageable. Heureusement, il y a Ubuweb.
www.ubu.com/film/smith_jack.html
« Les déchets sont les matériaux des créateurs. Ils n’existent que si vous les acceptez ou pas. »
Jack Smith
Toute la création de Jack Smith se fera sans budget, sans argent, sans système de production. Il récupérera des pellicules jetées, créant des univers flamboyants influencés par l’âge d’or de Hollywood, par la collaboration Von Sternberg/Dietrich, et par l’orientalisme, pour donner naissance à une contre-culture que ne peut pas renier John Waters (au moins dans ses premiers films. Il récupérera ensuite les ressorts de Smith pour les utiliser de façon plus commerciale).
Mais la récupération ou le vol ne sont pas des idées étrangères à Smith. Suivant l’exemple de Max Ersnt (dans une moindre mesure) ou de Joseph Cornell (plus ouvertement), il créera une esthétique du déchet, de l’éphémère et de la récupération, imprégnée de « Camp », ou de ce que l’on nommera plus tard « kitsch ».
Il est d’ailleurs intéressant de souligner que Smith réalisera son film le plus célèbre, Flaming Creatures, la même année que Susan Sontag écrira son essai Le style Camp (elle aura certainement à l’esprit la personnalité de Jack Smith lorsqu’elle rédigera ce texte contre la censure américaine publié en 1964).
http://vehesse.free.fr/dotclear/index.php?2009/05/13/1306-le-style-camp-par-susan-sontag
Flaming Creatures :
Devenant le catalyseur de récits extrêmement décousus, Jack Smith place au centre de ses films la relation acteurs/caméra, avec comme toile de fond d’étranges créatures qui évoluent dans un monde imaginaire où le mauvais goût y rencontre une désinvolture de la chair.
Si Flaming Creatures est une immersion claustrophobe dans un monde décadent, dans Normal Love, son autre pièce maîtresse, les « créatures » de Smith, devenues encore plus iconiques, assiègent le Jardin d’Eden, et se jettent à corps perdus dans une faste opulence. Mais on a pas accès à de telles jouissances sans en payer le prix.
Normal Love :
Questionnant la « normalité » au cinéma, le monde de Smith est empli de d’êtres et de situations qui, si elles ne sont pas fausses, ne peuvent avoir de la saveur et ne peuvent être crues. Dans ses films, il faut se méfier de toute idée de pureté ou d’authenticité. Il ne faut rien tenir pour vrai ou pour acquis.
Il y a dans le cinéma de Smith cette chose intrinsèquement liée à une forme plus méta (métaphysique, méta-cinéma, méta-sexualité), véhiculant une idée et des sensations beaucoup plus grandes que la somme de ses parties.
Dans cet univers bizarre peuplé de sirènes, de momies ou de loups-garous, il y a une volonté de la part de Jack Smith de rendre acceptable l’anormalité. Il dessine la carte d’un monde où la singularité est devenue habituelle. Et c’est là sa contribution essentielle au cinéma.
Andy Warhol, qui fait une apparition dans Normal Love, n’aurait certainement jamais fait les mêmes films sans sa rencontre avec Smith. (A ce propos, il faudrait noter que le point de convergence des films de Warhol, de ceux de Kenneth Anger et de ceux de Cassavetes, sont une sorte de Saint-Graal postmoderne du cinéma expérimental. Et peut-être du cinéma tout court.)
Après son dernier film (No President, en 1967), Jack Smith se concentrera sur la performance et le théâtre expérimental. Il sera très proche de John Vaccaro, créateur de The Playhouse of The Ridiculous, dont le mépris pour la pratique du théâtre conventionnel influencera profondément son approche de la performance.
Il disparaîtra le 18 septembre 1989.
Sorte de William Blake du cinéma, il faudrait un jour rendre l’hommage qui se doit à Jack Smith.
Le documentaire THE DESTRUCTION OF ATLANTIS :