« Rencontrer le visage de l’autre, c’est être maintenu en éveil par une énigme. »
Peter Sloterdijk, Bulles
La série des portraits d’Emeline Girault se nomme Assimilation. Il y a dans l’assimilation l’idée d’ingurgiter, d’absorber un corps étranger pour le faire sien, le faire devenir nôtre, le faire devenir même. Mais c’est sans compter sur l’étrange besoin qu’a Emeline Girault d’être elle-même envahie, cette envie d’attraper le virus, d’être possédée. Une fois la maladie inoculée, il devient difficile de savoir qui des deux est le corps étranger. L’hôte, terme ambigu, désigne à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Il y a du Cronenberg là-dedans, et il est peut-être bon de rappeler que Videodrome est pour elle une œuvre séminale.
En morcelant ainsi le corps de l’autre, Emeline Girault cherche à faire rentrer petit à petit chaque bout, chaque partie du tout dans son système. Son crayon qui reparcourt les traits des visages et des expressions ignore ce qu’il cherche. Et c’est précisément dans cette recherche, dans cette hésitation, que les polarités s’inversent et que se déploie toute la force de la série. De ce non-savoir, de ce désordonné jaillit alors un endroit plus équivoque dans lequel les dessins viennent se loger : celui de l’A-similation.
Emeline Girault convoque là l’essence même de ce qu’est l’existence : l’unique chose qui ne puisse être partagée. On peut la communiquer, la raconter, mais pas la partager. Jamais. C’est « l’altérité inatteignable ». Ce qui n’a pas de similitude, ce qui est a-similaire, l’Alter par nature, que l’on cherche à comprendre.
Redessiner des photos devient un jeu absolument sans objectif, non pas avec celui qui pourrait devenir nôtre (si il y avait réelle assimilation), mais avec quelque chose d’autre, de toujours autre, toujours inaccessible, toujours à-venir.
Assimilation est la concrétisation de cette attente sans but.
Vincent CAPES
http://emelinegirault.
www.facebook.com/emeline.