Entretien sur la télévision avec Serge Daney par Pascal Kané, le 6 Juin 1991
Daney, tout comme Godard (et bien d’autres à cette période), était conscient que le cinéma (ou même dans un sens plus général l’art et la création) était une porte ouverte vers l’autre. La fameuse « fenêtre ouverte sur le monde ». Ils se sont battus pour cette idée, la même qui était présente chez les italiens comme Rossellini : l’étranger, l’autre, celui qui est différent n’est pas un ennemi. Loin de là. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, cette pensée avait un sens on ne peut plus précieux. On avait été trop loin.
On voit malheureusement bien aujourd’hui que l’autre n’a plus sa place dans les conceptions individuelles (ou individualistes et égoïstes pour être plus précis). L’Autre n’est plus un monde à découvrir, une histoire à parcourir, il est perçu comme la négation du moi, comme une attaque à l’identité qu’il ébranle. Une telle attitude ne fait que prouver quelle fragilité a ce moi, quel manque d’assurance il a pour se sentir en danger à la plus petite intrusion de ce qui n’est pas le même, de ce qui ne « rassure » pas. L’Autre d’Edmond Jabès et l’Alter radical d’Emmanuel Lévinas n’ont jamais été aussi éloignés de nous.
Aujourd’hui on se retrouve seul avec nous-mêmes, et il n’est pas certain que le moi et le même soit bénéfique l’un pour l’autre, car par souci de fédération ils ont tendance à chercher des boucs émissaires. Et ils les trouvent facilement.