RASSEMBLER LES MEMBRES D’OSIRIS – En Quatrième vitesse de Robert Aldrich (1955)

« Il n’y a pas de dedans, pas d’esprit, de dehors ou de conscience, rien que le corps tel qu’on le voit, un corps qui ne cesse pas d’être, même quand l’œil tombe qui le voit. »

Antonin Artaud, Fragmentations

 

Il y a des réalisateurs qui ne sont pas à leur place dans l’histoire du cinéma. Peut-être parce que les spectateurs ne les ont pas suivis. Peut-être parce que les critiques ne les ont pas compris. Faite de hauts (très haut) et de bas (très bas), la carrière de Robert Aldrich est peut-être le premier obstacle pour les cinéphiles qui aiment voir dans les filmographies des « grands » une cohérence, une logique, une qualité permanente – politique des auteurs oblige. Aldrich fait parti de cette famille de réalisateurs qui ont surtout été vu par les autres réalisateurs (il a une influence considérable) plus que par le public. Pourtant, on devrait peut-être jauger la valeur d’un auteur sur son influence et sur la qualité de ses enfants. Ceux d’Aldrich, ce sont d’abord Godard et Lynch mais aussi Siegel ou Fleischer, pour n’en citer que quelques uns – on a vu pire comme filiation.

Enfant issu d’une famille très aisée (petit-fils du sénateur Nelson W. Aldrich et cousin de Nelson Rockefeller), Robert Aldrich est alors âgé de seulement 23 ans quand, passé des études d’économie politique, il est embauché comme employé de productions à la RKO en 1941. Il devient ensuite second assistant réalisateur aux côtés de Jules Dassin, Max Ophüls, Jean Renoir, Lewis Milestone, Abraham Polonsky, Charles Chaplin et Joseph Losey. Toutes les collaborations avec ces cinéastes qui vont connaître (ou ont connu) l’exil eurent une influence considérable sur son cinéma – et en particulier les trois derniers, victimes du maccarthysme[1]. Il se retrouve parachuter à la réalisation durant la Seconde Guerre Mondiale, Hollywood étant alors en manque de main-d’œuvre, et c’est à la télévision qu’il fait ses premières armes. Il met en scène son premier long métrage pour le cinéma en 1953.

En moins de 5 ans, Robert Aldrich réalise 9 films dont plusieurs fondamentaux qui font voler en éclats la mythologie sur laquelle s’est construit Hollywood. Si Aldrich est un des premiers cinéastes américains à opérer la transition du classicisme vers la modernité – Samuel Fuller et Nicholas Ray sont juste avant, Lumet et Frankenheimer juste après –, il le fait avec une énergie, une violence et une brutalité qui électrisent et font exploser tous les genres. D’abord il y a Bronco Apache (1954), où il prend position pour les natifs américains, dénonçant les atrocités subies. Ensuite Vera Cruz (1954), dans lequel il fait voler en éclats le western, mettant en scène des crapules et des personnages violents (une décennie avant que Leone ne les érigent au rang d’archétypes), éraflant au passage l’image de Gary Cooper. Avec Attaque (1956), il réduit à néant l’héroïsme dans le film de guerre, brossant un portrait satirique, brutal, cruel et sans concession de l’armée, où il s’attache à décrire non pas l’enfer de la guerre mais « l’influence délétère que la guerre peut avoir sur des hommes normaux, des hommes moyens, les choses terrible dont elle les rend capables alors qu’ils ne le seraient pas sans elle »[2] – thématique souvent au centre de son cinéma et qu’il reprendra en 1967 avec Les Douze Salopards. En 1955, il réalise ce que beaucoup considère comme son chef-d’œuvre : En Quatrième Vitesse (Kiss Me Deadly), œuvre qui sonne le glas du film noir classique. (Sa mise en bière quant à elle aura lieu 3 ans plus tard avec La Soif du mal d’Orson Welles, avant de renaître sous la forme du néo-noir.)

Grâce au petit succès de Vera Cruz, Aldrich est libre de choisir le projet qu’il souhaite voir naître. Il va opter pour la proposition de Victor Saville, réalisateur et producteur anglais qui vient de racheter les droits de Mickey Spillane. Auteur à succès, père du genre hard boiled, Spillane mélange allègrement violence et érotisme afin, de son propre aveu, de mieux vendre ses livres. Styliste à tendance réactionnaire (voire d’extrême-droite), rien ne prédestine Aldrich à rencontrer l’univers de Spillane. Ce roman Kiss Me, Deadly met en scène son personnage récurrent et célèbre nommé Mike Hammer – personnage antipathique, et un poil « fasciste » selon les mots d’Aldrich. Hammer est un peu le prototype de James Bond : ils ont en commun un goût pour les méthodes expéditives (007 à un permis de tuer et Hammer une inclinaison certaine pour la violence) et une attitude misogyne qui les poussent à instrumentaliser ou tout du moins objétiser les femmes qui, semble-t-il, ne peuvent résister à leur charme viril. Si Aldrich accepte cette adaptation de Spillane, c’est à une seule condition : avoir la possibilité de remanier avec A.I. Bezzerides le scénario tel qu’il l’entend[3]. Le fait d’avoir le nom de Spillane sur l’affiche lui assure de ne pas avoir à prendre de star dans le casting, ce qui lui permet de poser à nouveau question de l’image du héros (question qu’il reviendra bousculer en force avec entre autres Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?). Son sens du respect du budget lui octroie également la liberté dont il a besoin, la production ne mettant pas le nez dans ses affaires.

En Quatrième vitesse s’inscrit dans la grande tradition liée du film noir, reprenant sa fonction transgressive qui s’est progressivement atténuée au cours de la décennie précédente. Comme évoqué plus haut, l’influence d’Aldrich se retrouve aussi bien chez Don Siegel ou Richard Fleischer, dans Lost Highway ou Mulholland Drive de David Lynch, dans À bout de souffle ou encore Alphaville de Jean-Luc Godard[4]. Et ce n’est pas une coïncidence : la forme novatrice et pleine de vie (sorte de croisement entre Welles et Cocteau) masque à peine le profond pessimisme qui hante non seulement En Quatrième Vitesse mais tous ses films.

Robert Aldrich est un des grands représentants de la bascule en train de s’opérer à Hollywood au début des années 50 – bascule amorcée dix ans auparavant par Orson Welles et son Citizen Kane. Les réalisateurs étaient conscients qu’il était désormais impossible de faire un film à la manière de John Ford ou William Wyler. (Et d’ailleurs, l’auraient-ils vraiment voulu ?) Durant cette période trouble, les producteurs font un pas en avant et deux pas en arrière, ne sachant pas trop comment négocier la révolution en train de s’opérer et le maintient des valeurs conservatrices (dont le Code Hayes fut le grand garant). Si on a souvent reproché à Aldrich un certain goût pour la violence[5], c’est parce qu’on oublie qu’au fond ce n’est pas tant la violence qu’il questionne et dénonce mais les conditions préalables dans lesquelles elle peut naître. C’est bien la cause (et parfois la conséquence) qu’il dénonce mais pas la violence elle-même. C’est peut-être ce point qui a pu tant gêner certains critiques. Il faut rajouter à cette donnée la destruction méthodique et systématique de la figure du héros hollywoodien. À la différence d’un réalisateur comme John Ford, Robert Aldrich ne s’intéresse absolument pas à l’héroïsme et la vertu de ses personnages. Ce sont les ambiguïtés, les petites lâchetés, les manipulations, les veuleries et la peur de l’autre qu’il a envie de traiter. L’agressivité des thèmes abordés et de leur traitement vont en faire un réalisateur marginalisé, à la fois par le public et la critique.

Pourtant, mis à part cette frontalité très sèche qui ne ménage jamais le spectateur, force est d’admettre qu’il est bien difficile de déceler cette fascination ambiguë qu’on lui a reprochée. Chez lui, la violence ne s’étire jamais et n’est jamais banalisée. Elle est prégnante dans chaque plan mais jamais démonstrative – à la différence d’un Tarantino par exemple. Elle intervient chez Aldrich par soubresauts, au moment où on ne l’attend pas forcément, preuve d’un pessimisme réel, qu’on retrouvera avec rage chez Sam Peckinpah. Et c’est une des raisons pour lesquelles il préfigure le Nouvel Hollywood[6]. John Boorman quant à lui poussera encore plus loin la logique formelle de la violence dans Le Point de non-retour (1967), avec son montage heurté, sa chronologie fracturée, sa temporalité élastique (deux notions héritées du film d’Aldrich).

La puissance d’En Quatrième Vitesse réside dans cette formule simple, qui sera également en jeu dans La Nuit du Chasseur de Charles Laughton : sans qu’aucun de ces deux films ne renient son appartenance au genre et ses codes (éclairages et cadrages issus de l’expressionisme allemand, traitement naturaliste hérité du néoréalisme italien), ils vont chacun à leur façon débarrasser les personnages de leurs habits d’archétypes fatigués et usés par la répétition de la dernière décennie pour les hissés au rang de figures mythologiques. Si Laughton remonte le cours vers l’amont de la narration transformant un simple film noir en véritable conte de fées atavique, Aldrich le propulse dans l’aval d’une modernité sèche et agressive aux accents prophétique. Si Baby Jane commence comme un film noir pour finir en film fantastique, En Quatrième vitesse débute lui aussi comme un film noir mais pour se terminer en film de science-fiction. Et c’est bien là une des grandes révolutions du film : parler ouvertement et frontalement pour la première fois du péril atomique sans la couverture de la métaphore et en dehors du genre de la SF. C’est une forme de catharsis qui est convoquée dans En Quatrième Vitesse et dans La Nuit du Chasseur, deux films forcés d’investir le pouvoir du mythe pour répondre à une angoisse qui prend racine dans la grande dépression et qui a grandi avec la découverte d’un pouvoir de destruction totale annonçant l’anéantissement de l’humain. Il faut croire que contre la décadence et la déchéance, seule une certaine forme de lyrisme peut nous protéger. Mais pas pour très longtemps, car En Quatrième vitesse est un émissaire de l’Apocalypse à venir. Chez Aldrich, le monde est un endroit dangereux dans lequel il s’agit de survivre. Les idéalistes chez lui se retrouvent broyés par la machine, détruits par le système (que ce soit l’armée, l’État, la royauté, la mafia, Hollywood), car l’ordre établi est néfaste et nocif. Comme le souligne avec justesse Jean-Baptiste Thoret, cette thématique sera reprise par le Nouvel Hollywood qui explorera la voie ouverte par Aldrich : « l’implosion-explosion et la violence incontrôlable »[7] à laquelle la société oblige.

Ce film, c’est également l’avènement de l’anti-héros, témoin de l’effondrement des valeurs et le couronnement d’un individualisme forcené. Ce n’est plus un Bogart charismatique, qui emporte l’adhésion du public, mais une petite frappe médiocre prête à tout pour arriver à ses fins – jusqu’à envoyer celle qui est amoureuse de lui coucher avec d’autres hommes pour leur soutirer des informations. Ne pas avoir recourt à la convention de la voix off généralement utilisée dans le film noir, est un choix par lequel Aldrich refuse au personnage de Spillane la fonction de narrateur, ne lui accordant pas de fait l’empathie possible avec le public[8]. Se rajoute à cette distance une intrigue confuse qui avance par à-coups, où la violence s’étale, augmente et s’hystérise. C’est la fin de la tradition romantique dans le film noir. Ne reste qu’un pessimisme. En utilisant la répétition pour figurer le désespoir de la situation et son aspect inéluctable, le pré-générique révèle un montage construit à partir de fragments et de collision (cet effet est accentué par le générique déroulant à l’envers et la superposition d’éléments sonores disparates : la voix de Nat King Cole et l’halètement surmixé de Christina). La narration est brisée et l’espace-temps heurté. Le film s’ouvre avec une série de 3 plans sur Christina : le premier est un travelling d’accompagnement sur ses jambes, courant de gauche à droite ; le second est aussi un travelling d’accompagnement, cette fois en plan rapproché sur le haut du corps nous permettant de découvrir son visage ; le troisième est un plan moyen de face dans elle court vers la caméra (qui effectue un panoramique vers le haut, la filmant alors en plan rapproché et en contre-plongée) pour tenter d’arrêter une voiture au milieu de la route. Les plans 1 et 3 vont se répéter 3 fois, faisant bégayer le temps. Mais l’espace lui-même est également malmené car on peut voir sur le premier plan les pieds de Christina courir le long de la bande blanche alors que dans le plan suivant on la voit courir de l’autre côté de la route.

On pourrait croire à une erreur ou une étourderie de scripte, mais il n’en est rien, car Aldrich se joue de l’espace-temps tout au long du film. La preuve la plus flagrante se trouve dans la séquence où Mike Hammer est suivi dans la rue par un homme. Le repérant, il s’arrête pour acheter du pop-corn. On voit dans ce plan en haut à gauche une horloge qui indique 2h10. Le plan suivant nous montre Mike Hammer se tournant pour regarder l’homme. Le cadre est construit pour donner une place égale à la tête de Mike et à l’horloge, qui indique alors 2h16. Mike repart vers la gauche. Le plan suivant nous montre l’homme qui le suit passant devant la même horloge qui indique soudain 2h21. Il n’y aucune ellipse dans cette séquence. Nous sommes dans une continuité temporelle. Et on ne peut décemment penser qu’il s’agit là d’une erreur car la place donnée à l’horloge dans les 2 derniers plans est trop évidente. Par un jeu de faux-raccords assumé et voulu, Aldrich fait sortir le temps de ses gonds[9]. N’oublions pas que, dès le générique, le temps est « à l’envers » préfigurant un compte à rebours.

Cinéaste moderne car irradié par Orson Welles, Aldrich nous présente l’écran comme un trompe-l’œil qui nous cache une grande partie de ce que nous sommes censés voir et savoir. (Un exemple frappant est l’emploi des plongées et des contre-plongées qui inverse la gravité dans les scènes d’escaliers, comme le souligne Serge Chauvin dans sa conférence au Forum des Images[10]). Mike Hammer est Lazare, un fantôme, un mort en devenir ; Christina est un Christ sacrifié, les bras en croix pour arrêter la voiture de Mike au début du film ; Gabrielle est Gabriel, l’ange annonciateur : Soberin c’est « sobering », ce qui donne à réfléchir, ce qui dégrise et rend sobre.

Le film s’appuie sur un mode de représentation fragmenté, réduisant les individus à des morceaux de leur corps (jambes, mains, bras, lèvres en gros plan pour une métonymie de la violence), à une fonction sociale ou générique (policier, garagiste, détective privé, gangster, femme fatale), signifiée par des indices (uniforme, voiture, jazz, complet sombre, nudité) qui les privent de leur individualité et de réelle personnalité. La composition par fragments est intrinsèque au film. Morcellement de l’espace (surcadrage, décadrage) et des corps, dérèglement du temps et des personnages – à ce sujet, la séquence sur la plage dans laquelle Mike Hammer cherche à s’échapper est très signifiante : les poursuivants changent purement et simplement de tête. Dans le film, les séquences se suivent et s’enchaînent comme autant de saynètes dont le montage, qui abuse de coupes franches, ne suffit pas à lui donner une logique narrative. C’est dans cette porte entrouverte que s’engouffrera Lynch : lorsque l’action se passe à Los Angeles (Lost Highway, Muholland Drive), la ville elle-même n’est pas filmée[11], comme si elle n’existait pas vraiment. Elle est une construction mentale sans existence réelle. Hollywood est un rêve, un fantasme. Christina court dans une sorte de no man’s land, Mike Hammer enquête, ouvre des portes, monte des escaliers, marche dans des tronçons de rues, sans jamais que ces lieux ne soient inscrits concrètement dans l’espace. Ils ne sont pas réellement connectés entre eux – comme le Winkies, l’appartement de la tante de Betty, les studios de cinéma et le Silencio dans Mulholland Drive. En pénétrant de plein pied dans la brèche ouverte par Aldrich, les films de Lynch offrent une expérience d’espaces impossibles de Los Angeles, fonctionnant « comme une exploration de la dimension symbolique de sa topologie. »[12] On a souvent comparé les relations formelles qu’entretient Lynch avec En Quatrième Vitesse : les bandes sur la routes, la maison sur pilotis qui explose et les voix enregistrées suggérant l’existence d’une puissance démiurgique qui changent la destinée (Lost Highway), la femme perdue sur la route, la boite de Pandore (Mulholland Drive), mais c’est bien dans la dis-location de l’espace-temps que l’influence d’Aldrich se fait la plus sentir. Et sur une résonance ontologique : chez Aldrich comme chez Lynch, le mal, en plus d’être inhérent à l’homme, est contagieux, global et débouche sur un grand vide irrationnel. La voix sur le répondeur, l’absence de visage des gangsters sont des menaces proférées comme autant de révélateurs d’un mal invisible – et tirent le film vers une forme de fantastique. Que l’homme soit mauvais ou pas, en soi, importe peu pour Aldrich, mais l’environnement dans lequel il vit et les conditions qui vont le pervertir, oui. Aldrich opère une contamination en chaîne qui va porter tout le film à un point d’incandescence inouï pour l’époque. Cette contamination est profondément illustrative du désir mimétique en jeu dans le film : tout le monde désire cet obscur objet de désir que contient la boîte alors que personne ne sait ce qu’elle contient. Le moteur du film n’est pas l’enquête, mais la pulsion.

 

L’atmosphère d’En Quatrième Vitesse est d’emblée pesante, parce qu’elle laisse croître une paranoïa qui s’infuse progressivement dans tous les personnages, une paranoïa à la limite du supportable : victime torturée à mort, phrases énigmatiques, quête abstraite d’une menace imminente. Et lorsque Mike Hammer découvre la boîte et se voit annoncer la nature de ce qu’il recherchait, il prend conscience en même temps que le spectateur de ses propres limites et de la menace complexe qui dépasse l’entendement. Suggérant tout le long un grand mystère, le film donne l’impression de s’enfoncer progressivement dans un univers étranger, corrosif, qui attaque insidieusement la surface, reflet violent de l’American way of life – ce dont se rappellera, encore un fois, David Lynch. L’enquête du film ne tourne plus comme chez Spillane autour de la drogue, et corollairement de l’argent ; c’est une quête de pouvoir qui est en jeu ici, destructrice du lien social. En Quatrième vitesse met à jour de fragiles liens unissant les individus entre eux. Aldrich filme des corps qui s’entrechoquent, montrant des êtres désincarnés qui privilégient l’égoïsme de leurs intérêts personnels. Nihilisme, individualisme, monde déshumanisé, appât du gain, désir mimétique sont le fond de ce film. Aldrich n’a eu de cesse de questionner le rapport d’un individu face à un système qui n’hésite pas à le broyer en dépit de toute la légitimité qui lui est reconnue, dénonçant les dérives autoritaristes – ce qui lui valu une réputation d’ennemi des valeurs américaines. S’interrogeant chaque fois sur l’impuissance d’un individu quel qu’il soit face à un système qui n’a aucun scrupule à organiser minutieusement son assassinat – réel ou symbolique –, Aldrich a sonné l’avènement d’une nouvelle ère historique empreinte de mort et de destruction, folie morbide d’un monde courant à sa perte.

Vincent Capes, juin 2017

 

[1] Joseph Mc Carthy préside la Commission d’Enquêtes de la Chambre des Représentants sur les activités non américaines (House UN-American Activities Committee – HUAC) entre 1947 et 1954. Le maccarthysme prend fin lorsque le Sénat condamne officiellement Mc Carthy en décembre 1954. Pour plus de détails, voir Sophie Chautard, Les Éléments clé de la guerre froide, Paris, Jeunes Editions, 2001, p. 96.

[2] Entretien avec Robert Aldrich par Joel Greenberg, Positif n°583, septembre 2009, p. 108

[3] Le simple fait d’ôter la virgule du titre original Kiss Me, Deadly en le transformant en Kiss Me Deadly, changeant ainsi le sens de la phrase, en dit déjà long.

[4] Rappelons-nous que le premier film de Godard est dédié à la Monogram, maison de productions dans laquelle Aldrich a démarré.

[5] Comme l’explique Doug Headline dans le livret de L’Empereur du Nord (éd. Wild Side, 2017) : « […] le film devient un sommet du film noir dont la violence pure ne trouve d’égale dans la décennie, hormis La Femme à abattre de Walsh et Les Bas-fonds new-yorkais de Fuller. »

[6] On peut voir Aldrich comme le chaînon manquant entre Orson Welles (l’emploi du grand angle, les larges mouvements de caméras, les plans-séquences, le travail sur les profondeurs de champ) et le Nouvel Hollywood (longs plans d’errance suivis de brèves décharges de violence dans un montage très rapide, l’élasticité du temps, l’effondrements des valeurs morales et bien sûr la paranoïa).

[7] In Le Nouvel Hollywood, dessins de Brüno, éd. du Lombard, coll. La Petite Bibliothèque des Savoirs, Bruxelles, 2016, p. 51

[8] En règle générale, Robert Aldrich se soucie peu de l’empathie du spectateur pour ses personnages que ce soit Mike Hammer, Baby Jane Hudson, Sister George, le gang Grissom…

[9] Cette expression vient de la strophe 188 de Hamlet (acte 1, scène 5) « The time is out of joint », qui va donner à Philip K. Dick le titre de son livre Le Temps Désarticulé (Time Out of Joint) sorti en 1959. On retrouve cette phrase traduite approximativement en français par François-Victor Hugo : « Notre époque est détraquée. » (William Shakespeare, Hamlet, éd. Librio, 1994 , p. 33).

[10] http://www.dailymotion.com/video/x2epmly_en-quatrieme-vitesse-de-robert-aldrich-serge-chauvin_shortfilms

[11] Exception faite du plan au début de Mulholland Drive dans lequel Rita, après son accident nocturne, traverse la forêt et découvre la ville en la surplombant.

[12] Pacôme Thiellement, Et le temps devint tout David Lynch, in Pop Yoga, éd. Sonatines, Paris, 2013, p. 453