Hommage à Ken Jacobs

Ken Jacobs nous a quitté ce dimanche 5 octobre. Il a rejoint son épouse et collaboratrice Flo, partie un peu plus tôt cette année.
Ken Jacobs est un réalisateur de films expérimentaux radicaux. Très radicaux. Avec Stan Brakhage, Jonas Mekas et Peter Kubelka, il est un des plus fervents représentants de l’underground états-unien. Il était plus qu’un cinéaste : c’était une légende de l’avant-garde qui a influencé toute une génération d’artistes – et pas que dans le cinéma, puisqu’il fut, comme on peut le voir dans la BD Breakdowns, le professeur d’Art Spielgeman, l’auteur du sublime Maus. (Ken Jacobs considérait d’ailleurs sont travail de pédagogue comme faisant partie intégrante de son œuvre.)
Il commence dans les années 50 avec un cinéma « guérilla » improvisé dans les rues de son New York natal, mais il se fait remarquer aux côtés de l’immense et toujours trop méconnu Jack Smith, dont il fut un des grands défenseurs avec Susan Sontag et Jonas Mekas. Il cofonde avec ce dernier la Film-Makers’ Cooperative en 1962.
Perpétuel innovateur qui a remis en question tant les limites du médium que de la perception elle-même, ses films sont des expériences qui s’inscrivent dans la lignée de la Dreamachine de Brion Gysin et Ian Sommerville – première œuvre d’art à regarder les yeux fermés. Travail de reprise (dans le sens de reprendre des images existantes, façon found footage avant l’heure, et de réparer le tissu abîmé du visible), Jacobs abandonne la caméra pour créer le « paracinéma », terme caractérisant ses expériences visuelles qui débordent du champ cinématographique pur en vue de remonter à sa source : la lanterne magique.
On lui doit, entre autres, Tom, Tom, the Piper’s Son (1969), une œuvre fondamentale du cinéma, réflexion sur le médium, « […] une étude d’image par les moyens de l’image elle-même », nous dit Nicole Brenez. Aussi important dans son exploration du montage que les films d’Eisenstein, ce film entre au National Film Registry en 2007.
Ken Jacobs, malgré un forte tendance à la neurasthénie, continuera toute sa vie de défricher les territoires inexplorés de l’image en mouvement, de la vidéo numérique jusqu’à la 3D, repoussant les possibilités esthétiques et technologiques du cinéma. Sans lui, nous n’aurions peut-être pas eu le génial Peter Tscherkassky ou Thorsten Fleisch. Et c’eût été dommage !
R.I.P. M. Jacobs, et mille mercis pour tout.
À voir : Tom, Tom, the Piper’s Son (1969), Star Spangled Death (2004), et Celestial Subway Lines/Salvaging Noise (2005) une performance visuelle et sonore accompagnée de la musique de John Zorn et Ikue Mori.
N.B. : Fortement déconseillé aux épileptiques !