
Le 29 octobre, un des cinéastes les plus importants et les plus sous-estimés fêtait ses 90 ans. Et le 31 octobre, il est parti. Peter Watkins vient de nous quitter. On lui doit ce que je considère comme un des films les plus précieux du XXIe siècle (avec Dans le noir du temps de Godard et Mulholland Drive de Lynch) : La Commune (Paris 1871).
Certains diront que j’ai l’hyperbole facile – et c’est vrai –, ou que Punishment Park ou Edvard Munch du même Watkins sont bien meilleurs. Peut-être. Sans aucun doute. Mais ce n’est pas la question.
Dans La Commune, rarement un geste cinématographique a autant mis en adéquation et en tension son fond et sa forme. Le film raconte la révolte de 1871 qui eut lieu à Paris, un des exemples de soulèvement les plus importants, et ce pour chacun des camps en jeu. Comment réaliser un film qui parle d’abattre les hiérarchies et les inégalités dans un médium où l’on a l’habitude des hiérarchies et de l’autorité ? En étant Peter Watkins. Comme toujours, il n’a pris aucun acteur ou actrice connue. Simplement des « gens » qui souhaitaient incarner ces personnages à l’écran.
Watkins a, comme à son habitude, jouer d’anachronie (comme dans Culloden) en incorporant à son film une critique acerbe des médias. (On ne dira jamais assez que son livre Media Crisis et le concept de Monoforme accouchent d’une des analyses les plus passionnantes et les plus pertinentes autour de l’image, depuis Marshall McLuhan peut-être.)
Dans La Commune, il se joue de ce régime que nous n’avons jamais réellement connu et qu’on nomme démocratie – car une « aristocratie élective » représentative n’est en aucun cas une démocratie, ne l’oublions pas. Il donne dans ce film la parole à celles et ceux qui le désirent, pour exprimer leurs idées, fussent-elles contraires à celles qu’il défend. Car c’est ça, la liberté d’expression. Et faire taire une parole car elle ne nous plaît pas, que ce soit en 1871, en 1968, en 2019 ou en 2025, ce n’est pas de la liberté d’expression. Ce n’est pas de la démocratie.
La Commune (Paris 1871), est une œuvre participative et collective, réalisée à La Parole errante, le théâtre du grand Armand Gatti et anciens studios de Méliès. C’est une œuvre qui allie le fond et la forme, dans un geste tout à la fois politique et artistique, d’éducation populaire et de critique éclairée.
Rares sont les œuvres qui font naître en nous le feu du changement, et nous rappellent quelle glorieuse histoire des luttes nous avons en France. Une histoire qu’on ne nous apprend pas à l’école car elle ne rentre pas dans le grand roman national. La Commune nous donnent envie de nous soulever face à toute forme d’injustice et d’oppression, de combattre les médias dominants qui sont aux mains de multimilliardaires aussi nauséabonds qu’abjects. Car Peter Watkins, qui n’a malheureusement plus rien réalisé après ce film, nous a gratifié d’une des carrières les plus passionnantes de l’histoire du cinéma. Je terminerai par ces mots de Jordi Vidal dans son livre Traité du combat moderne, aux éditions Allia : « J’admire Peter Watkins au point de ne supporter ni les critiques ni les éloges qui lui sont destinés, les considérant toujours en dessous de l’œuvre. Un cinéaste qui a réalisé La Bombe, Punishment Park et Edvard de Munch : la danse de la vie est au-dessus de toute critique. »
Reposez en paix, M. Watkins, et encore merci pour tout…